Je fais partie de ceux qui considèrent les années 80 comme un très mauvais trip. Il y a peut-être, en cherchant bien, quelques trucs à sauver (quoi ? je cherche, je répondrai plus tard). Disons que le fait d'avoir été en vie pendant ces années, d'y avoir survécu et de pouvoir les considérer à travers le filtre coloré de la mémoire constitue une sorte de petit miracle en soi. Il n'empêche que les eighties sont avant tout un sacré paquet de merde.

L'affaire avait très mal commencé. Les premières années à porter la décimale 8 (je me plante pas, là, mathématiquement parlant ?) ressemblaient comme deux gouttes d'eau à une très mauvaise descente d'acide. Partout où vous posiez les yeux, des signes absolument négatifs vous sautaient à la gueule, et tous convergeaient vers le même putain de signifié : "Les belles années sont derrière toi, mec. Maintenant, tu vas en baver, mon pote." Certes, les choses ne sont pas survenues d'un coup. Tout le long des dernières années soixante-dix (disons à partir de fin 77), rétrospectivement, on peut dire que la chape de plomb commençait à se mettre en place au dessus de nos têtes de jeunes cons insouciants. Mais là, il y a eu une sacrée accélération, moi je vous l'dis. Et vous pouviez vous retourner dans tous les sens : pas moyen d'échapper à cette chose grise, lourde, qui s'abattait d'un seul coup sur vous. Le phénomène a été théorisé depuis comme la fin de toute extériorité, la disparition des marges, la mort des alternatives. Tout cela est peut-être vrai, mais sur le coup, cela vous collait simplement les boules - et au sens propre (gorge nouée, envie de gerber). Si je devais employer une image, j'évoquerais ces salles qui rétrécissent, prenant au piège le héros tandis que retentit le rire diabolique du savant fou/maître du monde.

C'est le moment où la télévision a commencé à devenir ce gigantesque robinet à merde publicitaire auquel tout le monde s'est depuis habitué et a appris à aimer. La musique avait un son atroce. Essayez de réécouter ces groupes oubliés qui occupaient le devant de la scène, avec leur look de cadres commerciaux, leurs synthés pourris et leurs boîtes à rythme (j'ai bien cru que mon système nerveux n'y survivrait pas).

Mais le pire de tout, c'était de voir vos potes plonger là-dedans avec un sourire béat. Les gens se sont mis à changer à une vitesse incroyable. Vous pouviez les voir prendre un virage à 90° en l'espace d'une semaine. Tout ce qu'ils avaient aimé, ce en quoi ils avaient cru, était balayé d'un revers de manche. Ils réapparaissaient un matin, avec un nouveau look (genre VRP), un plan de carrière, un optimisme comme on en avait plus vu depuis les années 50. Et ils vous toisaient l'air sincèrement attristé, comme un pauvre connard incapable de prendre le train en marche et condamné à crever sur le quai au milieu des autres clodos dans le même cas. Puis ils disparaissaient sans dire adieu, vers une vie sur-active et tellement conformiste qu'à côté celle des classes moyennes sixties font figure d'aventuriers undergrounds.

N'écoutez pas les bobards. Tout le trip Palace, par exemple, est largement surévalué. C'était triste de voir tous ces ploucs raquer rien que pour pouvoir se serrer comme dans le métro aux heures de pointe. C'était ennuyeux, autant que n'importe quelle soirée hype, mais avec la foule et les odeurs qui vont avec. S'il y en a qui croient que je noircis le tableau, qu'ils sachent que j'ai volontairement passé sous silence les détails les plus sordides (Le nouvel Actuel du vieux Bizot, Libération et le PS, le look branché, Mourousi en fan de Bowie, l'esprit d'entreprise et Tapie superstar...) afin de ménager les plus sensibles.

Ah, oui ! Quelque chose à sauver ? Euh, je vais chercher encore un peu...