Le début de l'exposition, une longue série de petits formats, est un peu terne. Techniquement, les lavis sont honnêtes mais sans plus. Quant aux thèmes fantastico-symbolistes, ils semblent relever d'un imaginaire irrémédiablement daté. Bref, je me suis ennuyée et Bill semblait déçu, même s'il tentait de le masquer. Un type donnait une interview en allemand pour une équipe télé à côté de nous, ce qui fit un peu de distraction.

A un moment, ça se met à décoller. Il y a une nette rupture dans le travail de Kubin. Le format s'agrandit et le trait de plume se libère; les dessins sont plus lumineux, souvent rehaussés d'aquarelle. Cette fois, on pénètre vraiment dans ce monde d'apparitions grimaçantes et de paysages torturés. On retrouve son âme romantique. Elle était toujours là, mais bien enfouie, elle aussi engloutie (comme l'Europe fin de siècle).

 

Kubin a produit des illustrations remarquables pour différents livres, illustrant aussi bien des écrivains renommés que ses propres textes. Il a enfin développé une technique de "crosshatching" (le terme est de Robert Crumb, grand amateur de l'art graphique de cette période) qu'il a perfectionné jusqu'à la fin (ces dessins ont à l'évidence exercé une influence décisive sur Roland Topor). C'est une technique que Bill utilise de plus en plus souvent dans ses dessins. Et ce n'est pas la visite de cette exposition qui va arranger les choses.

Sur les murs, on pouvait lire que Kubin s'était retiré assez tôt dans un manoir perdu dans la forêt et n'en était que rarement sorti. Il y a un vieux documentaire un peu flou diffusé dans une salle à la fin du parcours. On y voit Kubin à la fin de sa vie, marchant dans la campagne alentour, rejoignant son manoir, puis filmé dans son bureau, devant une bibliothèque croulante de livres. Tout était exactement tel que j'avais imaginé. Troublant.

Fin de l'exposition. Nous sommes ressortis dans la lumière poudreuse. J'avais l'impression d'émerger d'un grenier sombre rempli d'images et de vieux livres au charme envoûtant. Nous avons descendu les marches qui conduisent aux berges de la Seine. L'endroit est désert, il semble abandonné - de jour du moins, car de nombreux détritus semblent signaler des fêtes qui doivent se tenir ici (les nuits de pleine lune ?).

 

A la librairie du musée, Bill a trouvé des textes de Kubin réunis sous le titre Le travail du dessinateur (un beau petit livre comme savent les faire les éditions Allia) et moi, un essai de Gérard-Georges Lemaire sur Kafka et Kubin.

Et là, vous allez voir comme tout se tient...

 

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