Lundi 26 mars

Je commence à recevoir quelques réactions encourageantes à un moment où j'avais un vague sentiment de lassitude. Lonesome Pat dit (en riant) qu'il suffirait de quelques photos suggestives pour enflammer le Web et faire de moi une star virtuelle.

Mardi 27 mars

Tenir un journal dans un cahier ou sur un écran en ligne, j'avoue ne pas parvenir à me représenter clairement la différence, mais je la ressens très bien physiquement. Qu'arrive-t-il à la pensée lorsqu'elle est appelée vers l'extérieur du corps, aspirée par l'écran et partagée par plusieurs personnes ?

Mercredi 28 mars

Je ne connais pas grand chose de plus désolant qu'un chat bourré de fautes d'orthographes où des paumés masqués essaient de communiquer avec une pauvreté de moyens qui fait penser à des épreuves sportives pour handicapés.
Et si, contrairement à tout ce qui se dit, Internet ne changeait strictement rien à rien ?

Jeudi 29 mars

En fait l'apport spécifique d'Internet est minime d'un certain côté et en même temps capital sur le plan stratégique : c'est la possibilité concrète, offerte à tous, de s'installer dans un espace utopique échappant au principe de rendement. Quant à savoir si cet espace alternatif a des chances d'affecter l'ordre des choses... Qui vivra, verra.

Vendredi 30 mars

Lonesome Pat m'a joué des compositions récentes. Il a écrit une très belle chanson sur son enfance, un truc entre Gram Parsons et Françoise Hardy. Vraiment très bien. Je l'ai incité à en enregistrer une version et à la mettre en ligne mais il ne faut pas être pressé car L.P. est un sacré flemmard.

Samedi 31 mars

Par scrupule, et aussi par curiosité, il m'arrive d'aller surfer du côté des sites artistico-poétiques. La plupart du temps, j'abandonne et je repars sans avoir rien vu d'autre que le message loading. Il est vrai qu'avec de tels délais de chargement, on devient exigeant. Et ce qui s'affiche, si on a eu assez de patience, n'est pas toujours à la hauteur de l'attente.

Dimanche 1 avril

Fin du livre annoncée, du codex à l'écran (on nous prépare). Moi, je veux bien, mais cela paraît difficilement concevable. Je veux parler pour ceux qui ont grandi avec les livres, pas pour les gamins qui les regardent comme des objets historiques, comme ils regardent les vieux disques vinyle, les téléphones à fil ou les télévisions noir et blanc. J'y pensais en regardant ma bibliothèque. Il s'agit d'une activité que je pratique au moins une fois par jour : contempler ma bibliothèque en rêvassant. J'imagine mal la vie sans cette possibilité de se promener parmi les livres et de dialoguer silencieusement avec eux. Mais en même temps (in the other hand, comme disent si bien les américains), il y a une certaine jubilation à l'idée de pouvoir de détacher de tout ce passé, un peu comme dans le passage de la peinture au net.art

Lundi 2 avril

Il m'arrive de ne penser à rien de précis et de passer ainsi la journée dans la plus parfaite inactivité, au plus près des choses inertes, des animaux, entre ahurissement et extase. J'ai le sentiment que cet abandon dans l'immanence devient un plaisir rare, un secret presque oublié.

Mardi 3 avril

J'ai du sommeil en retard et je suis fébrile. Il faut que je prenne le temps de récupérer. J'ai besoin d'une bonne sieste ou d'une grasse matinée, ou, encore mieux, de passer une journée entière à lire sans sortir du lit.

Mercredi 4 avril

Le GFIV baignant dans un climat critique assez systématique, je me suis dit que j'allais m'immerger dans une pensée positive, voire apologétique, et je lis Pierre Lévy. Ça me fait un peu penser à la science fiction des années cinquante où l'on prédisait que les hommes de l'an 2000 habiteraient des bulles transparentes, se nourriraient de pilules nutritives et partiraient en week-end sur la lune. Ma petite maison est branchée sur le réseau (ce qui vous permet de me lire). C'est pratique, comme l'eau chaude, mais je ne vois pas bien ce que ça change de fondamental à notre condition, à vous et à moi. Si vous le voyez, n'hésitez pas à me le faire savoir.

Jeudi 5 avril

L'eau commence à redescendre mais le jardin ressemble toujours à celui de Monet.

Vendredi 6 avril

J'ai l'impression d'avoir vu et entendu Catherine M. sans arrêt depuis deux jours. A la télé, je l'ai trouvée bien, intelligente et sexy. Je me demande, comme tout le monde, comment on peut vivre après avoir publié ce genre de témoignage. Cela doit être une expérience limite, aussi troublante que celles racontées en détail dans le livre.

Samedi 7 avril

Les livres lus un peu par hasard au moment de leur sortie et dont je ne me suis jamais complètement remise :
" Le petit bleu de la côte ouest " de J. P. Manchette
" Panégyrique " de Guy Debord
" L'amour est un chien de l'enfer " de Charles Bukowski
" Vente à la criée du lot 49 " de Thomas Pynchon
" L'information " de Martin Amis
" Un sport et un passe temps " de James Salter
Le dernier en date : "Ingrid Caven" de J.J. Schuhl
(Vous pouvez envoyer votre play list)

Dimanche 8 avril

Repos.

 

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