Lundi 4 juin

Trouvé dans les mails du GFIV ce détournement amusant de notre manifeste :

PROVOCATION GRATUITE (*hors cout des communications) Ne pensez-vous pas que le rock de papy baba soit un acteur majeur, depuis quelques dizaines d'années déjà, à cette "mercantilisation" de l'art que vous dénoncez avec enthousiasme?Le rock ne symbolise-t-il pas la victoire finale de l'idéologie dominante et son dépassement dans l'anéantissement définitif de la conscience critique. N'est-il point un des moyens de la propagande de masse, le spectaculaire diffus (Debord) et la capacité à intégrer toute forme de critique qui s'est imposée de manière massive en se présentant comme un état de fait, indiscutable et indiscuté. Déplacer les anciennes formes critiques, en faisant abstraction de leurs formes contemporaines (free parties, arts électroniques, web alternatif...etc...) dans le présent de la glaciation généralisée, n'est-ce pas tomber dans une forme de nostalgie (pouah!)?

Le message provient d'un site, www.prak06.net., qui entretient quelques rapports esthétiques avec le site expérimental du GFIV (couleurs gueulardes, animations minimalistes, fonds sonores agressifs) et dont la principale activité est l'organisation de free parties multimédia. Allons-nous être débordés par la génération techno ?

Mardi 5 juin

C'est l'anniversaire de Lonesome Pat.

Mercredi 6 juin

Il arrive, à certains moment de la journée, que je m'abandonne à la rêverie. Suivant alors quelque vague pensée sans objet, je vois des phases se former à mon insu. Ce sont ces phrases que l'on retrouve ici, dans ce journal. J'aime à penser que ces dictées me sont soufflées en dehors de ma volonté, selon la vieille conception idéaliste qui fut celle des romantiques et de leurs descendants surréalistes. Tout ceci présente d'ailleurs assez peu d'intérêt. Alors pourquoi en parler ? Parce que aujourd'hui, n'ayant reçu aucun message, je n'avais rien d'autre à dire.

Jeudi 7 juin

Le principe est bien, les textes intéressants... mais putain qu'est-ce que ça flash !, nous dit Bigbone sur un forum. Comme lui, de nombreux internautes trouvent que le site du GFIV leur fait mal aux yeux. Nous n'aimons, il est vrai, ni le bon goût ni la mesure.

Vendredi 8 juin

La campagne environnante (je suis dans un train) est verte et lumineuse, entrecoupée de ruisseaux débordant d'enthousiasme. Il n'y manque que des enfants et l'innocence des années vingt, peut-être.

Cet extrait vient de Grosse Fatigue. Si vous aimez le style looser décalé mais sans aigreur, alors allez y faire un tour.

Samedi 9 juin

Extrait de Le Web, grand accélérateur de frustrations, article disponible sur Fluctuat.

Le fait d'être constamment en contact avec les tentations, les interdits, les richesses en vérité inaccessibles du monde réel, transforme l'individu moderne en chien frustré. Ajoutez à cela l'individualisme et son corollaire, la solitude, ajoutez encore la dictature de l'hédonisme soft et réglementé, les rêves d'absolu, et vous finissez fou.

C'est aussi ça, internet.

Dimanche 10 juin

Discussion avec Joe, hier soir, sur la terrasse ensoleillée. J'ai apporté la contradiction. Il faut dire que la thèse de Joe est assez radicale et suscite quelques réserves. Selon lui, l'art est entièrement fétichisé par le marché et par le circuit institutionnel qui est son relais. Soit. Le constat est difficilement contestable. Mais qu'en est-il de la création, des oeuvres d'art, dans un tel contexte ? Assez radicalement, comme un Debord exigeant la réalisation de l'art dans la vie quotidienne, Joe répond qu'on peut toujours faire de l'art pour le plaisir pur de la création, mais que cette pratique artistique ne doit en aucun cas entrer en contact avec les structures sociales qui ont en charge de gérer l'art sous peine de se voir immédiatement dénaturée. Car la fétichisation de l'objet se substitue alors au processus de création et nous sortons de la sphère utopique de l'art pour entrer de plein pied dans celui de la marchandise. L'espace utopique de l'art est précisément le dernier espace alternatif où l'individu peut évoluer librement en dehors des contraintes sociales liées au principe de rendement. Cette liberté est incompatible avec le contrôle exercé par l'institution sur la création et avec la fétichisation de l'objet artistique. L'art est donc condamné, s'il veut conserver cette dimension originelle qui en fait, selon la formule d'Adorno, une promesse de bonheur, à rester une activité strictement privée, comme le rêve ou la sexualité.La différence entre un usage individuel et un usage social de l'art peut aisément être saisi si on utilise la comparaison avec la sexualité et que l'on distingue l'expérience privée de l'individu et le commerce collectif de la pornographie. La sphère privée est celle de la gratuité (dans les deux sens du terme : non rémunéré et sans but assigné); la sphère publique est celle des prestations monnayable. Passer de l'une à l'autre, c'est entrer dans le marché. Bien d'autres enjeux apparaissent : rôle social, professionnalisme, carrière, etc...

Et le besoin d'oeuvres d'art ? Les peintures de la Rennaissance ? Et mon amour pour Rothko ?

Bien chauffé, Joe s'est lancé dans une de ces vastes synthèses dont il a le secret. Si l'on considère l'oeuvre d'art comme une interface, une sorte de signe, à quoi renvoie-t-il ? La réponse varie selon les époques : aux dieux pour l'art de l'Antiquité, à Dieu pour l'art du moyen âge, à l'Homme pour l'art de la Rennaissance, à l'art lui-même pour l'art moderne.Cette ouverture, c'est ce que Joe appelle le monde utopique de l'art. Or, pour la première fois, l'art ne renvoie plus à rien d'autre qu'à la réalité existante, à l'ordre dont il sert les intérêts. Le meilleur exemple de cet état de fait est dans la manière dont les exposition sont vendues et consommées par un large public qui vient voir des oeuvres comme on va au supermarché. C'est un grand gain pour la domination et pour l'économie, mais une grande perte pour tous ceux qui ont un besoin vital de cette sphère utopique de l'art.

Lundi 11 juin

"Sitting Bull les avait mis en garde : "Tuez-les, mais ne prenez pas leurs fusils, ni leurs chevaux. Ne les dépouillez pas. Si vous fixez vos coeurs sur les biens des Blancs, cela provoquera une invasion de cette nation."

Après la victoire, apprenant que certains Indiens avaient dépouillé les corps, il avait ajouté : "parce que vous avez pris les dépouilles, vous convoiterez désormais les biens de l'homme blanc, vous serez à sa merci, il vous affamera."

Quatorze ans plus tard, à wounded Knee, les Indiens furent définitivement anéantis...

Extrait de Ousmane Sow, le soleil en face

Mardi 12 juin

" Je suis entré dans un bar pas loin, dans Kearny Street, pour téléphoner de leur cabine. L'endroit était désert, à l'exception du barman et d'une grosse dame en train de téléphoner. Elle ne parlait pas. Elle était juste là, debout dans la cabine, à faire oui de la tête à une personne qui se trouvait à l'autre bout du fil."

Richard Brautigan, Un privé à babylone

Mercredi 13juin

" Sans doute, l'amitié, l'amitié qui a égard aux individus, est une chose frivole, et la lecture est une amitié. Mais du moins c'est une amitié sincère, et le fait qu'elle s'adresse à un mort, à un absent, lui donne quelque chose de désintéressé, de presque touchant."

Marcel Proust, Sur la lecture

Jeudi 14 juin

" Après s'être violemment opposée à tous ceux qui échangeaient, sur Napster ou ailleurs, des fichiers musicaux de type MP3, l'industrie musicale risque d'être confrontée dans un avenir proche à un défi autrement plus dangereux : la prise d'autonomie de la création musicale par rapport au secteur marchand ."

Le Monde Interactif (lire la suite)

Vendredi 15 juin

Nous avons reçu le mail suivant

Chers alcooliques décadents (mais comme il faut). Votre site est (graphiquement) hideux, mais je pense que c'est fait pour. Aussi ne releverais-je pas une provocation aussi grossière. Il est tout de même étonnant, pour ne pas dire dérisoire, que vous continuiez à croire en les vertus frelatées d'un dépassement du monde par les potentialités des avant-gardes. Les avant-gardes n'ont aucune potentialité. Elles constituent le noeud le plus avancé, mais le plus occulté, de la domination bourgeoise, version up-to-date de l'esthétisme chichiteux de la classe moyenne. Seuls les enfants de monsieur Prudhomme peuvent encore s'imaginer que l'art (sans 'A') est autre chose qu'un fantasme bourgeois, monstrueuse excroissance de quelque chose qui n'aurait jamais du quitter sa fonction strictement décorative qu'il a toujours eu jusqu'à grosso-modo le milieu du 19eme. Il faut au moins reconnaître aux talibans l'absence absolue de respect pour le culturel (attitude authentiquement révolutionnaire, s'il en est) ce qui leur a permis sans sourciller de détruire des bouddhas à la pelle, pendant que les représentants de l'occident, de quelque bord qu'ils fussent, hurlaient sans trêve l'aria désespérée contre les profanateurs de ce-qu'il-y-a-de-plus-sacré-au-monde. Lorsque vous parlez de l'idéologie comme ce qu'il y a de plus prégnant, de plus fondateur et de plus dissimulé, vous êtes dans le vrai, mais il faut savoir voir un peu plus loin que la paille dans l'oeil du voisin. Un symptôme de l'idéologie, c'est le consensus ; tout objet social faisant l'objet d'un consensus est un moment de l'idéologie dominante. Lorsque cet objet déclenche une quasi idolâtrie, on peut être sûr qu'il est le paradigme de la dite idéologie. Et l'art - quelle que soit sa forme, l'idée, le concept même d'art, l'idée selon laquelle il est la plus haute fonction de l'humain, voilà qui est le consensus absolu. Le fétiche de nos sociétés. Le dieu invisible auquel il faut rendre hommage. Bien entendu, vous me répondrez qu'il faut distinguer entre l'art " bourgeois " (essentiellement aliénant - ha ha ha !), et les avant-gardes, véritablement émancipatrices. Je ris de nouveau. Derrière ces deux prétendues notions de l'art, se cache le même fétichisme, apparenté à celui de la marchandise, quand bien même (et surtout paradoxalement) si cet art se veut hors circuit marchand. L'art pour l'art, l'art hors argent, c'est le calvinisme de l'art, sa version fanatique, la forme la plus extrême de la dévotion. L'aberration à l'état brut. L'ABENA (Art Bourgeois Egal Non Art) a développé bien mieux que moi cette problématique, et je ne peux que vous conseiller de vous rendre sur leur site. Mais quoi qu'il en soit, je ne peux que constater que, comme d'habitude, derrière les oripeaux progressistes, se dissimulent les pires errements koulako-droitiers. Cordialement (tout de même), Lefayot

La réponse du GFIV

Cher Le fayot,
Cet aimable pseudo ne cacherait-il pas un facheux penchant pour la soumission envers l'ordre établi ? Vous nous faites penser à ces conservateurs de province qui se disent apolitiques. Le dépassement de l'art en tant qu'activité séparée et sa réalisation effective dans la vie quotidienne figurait au programme des avant gardes qui ont compté (dada, l'IS). Il figure également au programme du GFIV. De toute manière, comme chacun sait, l'art est mort.
Cordialement cependant.
Le GFIV

Samedi 16 juin

La ville de Goeteborg a été vendredi 15 juin, le théâtre de scènes d'émeutes provoquées par des groupes de vandales mêlés aux mouvements anti-mondialisation qui ont volé la vedette aux dirigeants européens réunis dans cette ville du sud-ouest de la Suède.

Le Monde

Bataille de rue. Barricadés derrière un rempart de conteneurs en acier, de grillages et de blocs de béton, qui bloquait toutes les voies d'accès à leur centre de congrès, les dirigeants de l'Union n'auront vu qu'à la télé les violences qui ravageaient le centre-ville. Alors que 20 000 personnes étaient rassemblées pour manifester contre la mondialisation, un millier de jeunes casseurs, scandinaves, mais aussi allemands ou néerlandais, brandissant des drapeaux rouge et noir anarchistes ou rouges à l'effigie de Mao, se sont livrés à une véritable bataille de rue, saccageant les vitrines des commerces de la grande avenue de Göteborg. Des groupes très mobiles et apparemment bien rodés aux combats de rue (cagoules, casques, talkies-walkies, etc.). Une trentaine de blessés légers, dont dix policiers, ont été hospitalisés et plus de 450 personnes arrêtées. La tension restait forte vendredi soir.

Libération

Dimanche 17 juin

" La gare avait changé depuis la dernière fois qu'il avait eu l'occasion d'y aller. Entre-temps, sa voûte de poutres goudronneuses et de verre dépoli, ses murs couverts de suie et son hall hanté par de jeunes prostitués s'étaient mués en une élégante galerie de boutiques, de croissanteries et de cappuccinos, à perte de vue."

Martin Amis, L'information

Lundi 18 juin

Réponse de Lefayot (extrait) : Vous faites ce que vous voulez, hein ... Mais bon ...Si vous voulez, on peut se dire, que la fin de l'art comme activité séparée, c'est bien aussi, j'adhèrepleinement, mais à la limite, je n'appelle plus ça de l'art, je l'appelle pas, c'est une non-activité, ausens où la vie est une non-activité, c.a.d quelquechose qui est sa propre fin (et donc pas une "activité") ...

C'était pas la peine de s'énerver pour, finalement, tomber d'accord...

Mardi 19 juin

Perdu du temps pendant quelques jours à cause de deux connards, des petits chefs minables. Fais un tour sur leur terrain. Pour rien.

Mercredi 20 juin

Tes pires ennemis ne sont pas du tout ceux qui ont un point de vue différent du tiens, ce sont au contraire ceux qui ont le même mais qui, pour divers motifs, par prudence, par désir d'avoir raison, par lâcheté, sont retenus d'y adhérer.

Arthur Schnitzler

Jeudi 21 juin

J'écoute quelqu'un parler de la pensée chinoise sur France Culture. Pas de notion de beauté. La présence dans l'œuvre d'une vibration de la vie. Articulation d'un certain nombres d'éléments dans le monde et dans le corps. Tout participe de la vie du monde

Vendredi 22 juin

Jadis, ils se méprisaient ; aujourd'hui, ils se congratulent. Comme Jorge Semprun, Alain Etchegoyen, Michel Serres et beaucoup d'autres, les intellectuels n'hésitent plus à participer directement à la vie des entreprises.

Le Monde (Lire la suite)

Samedi 23 juin

J'aimerais un jour parvenir à la morne platitude distante des catalogues de la Manufacture française d'armes et de cycles de Saint-Etienne, du Comptoir commercial d'outillage, du Manuel de synthèse ostéologique de MM. Müller, Allgöwer, Willeneger, ou des vitrines du magasin de pompes funèbres Borniol (ces beaux poncifs). En attendant, loin du compte, j'ai recopié des rouleaux de télex hippiques France-Soir (avec toutes ses éditions), des paroles de chansons anglaises connues, des dialogues d'anciens films célèbres, des prospectus pharmaceutiques, des publicités de mode, lambeaux sur lesquels, furtivement, s'écrit le temps mieux que dans les oeuvres. Jean-Jacques Schuhl, Rose poussière, Gallimard / Le Chemin, 1972.

Citation trouvée sur le site remue.net.

Dimanche 24 juin

A l'heure qu'on le béatifie, autant parler franc: je n'aime pas ce type. Ce type, c'est Pivot. Pour en finir avec le beauf littéraire cathodique, lire la chronique que lui a consacré Pierre Marcelle dans Libération.

 

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