lundi 13 septembre

Puisqu'il faut faire des choses, j'essaie que ce soit exactement comme de ne rien faire. Ce n'est pas l'attitude qui attire les récompenses sociales (pas assez d'efforts). Ce n'est pas très grave. On trouve des satisfactions ailleurs, dans l'expérience elle-même.

mardi 14 septembre

Cette idée de faire comme si l'on ne faisait rien, j'en trouve une illustration dans les dessins de Twombly. Non, ce n'est pas du tout facile. On peut y parvenir par inadvertance et ne pas y accorder d'attention. Là où cela commence à chauffer, c'est lorsqu'il s'agit d'en faire une méthode.

mercredi 15 septembre

Hier soir, j'écoutais les Electric Prunes et je me disais : ce n'est pas très grave, si le rock est mort (pour toujours). Nous écoutons tous ces enregistrements historiques, avec un son que les gens de ma génération n'auraient même pas été en mesure d'imaginer (J'ai essayé l'autre jour de passer un vieux vinyle qui gratte et j'ai abandonné au bout de deux chansons). Il s'est passé la même chose avec le Jazz (toutes les formes artistiques, en fait). L'illusion, c'est d'attendre encore que quelque chose de nouveau se produise et surtout, que cela soit aussi intense. On ne replonge pas dans le même fleuve.

jeudi 16 septembre

Aimer la glande vous amène à surdéveloper certaines capacités : expédier le plus rapidement possible les tâches incontournables, les rendre agréables (en imaginant des tas de trucs autour), ou simplement s'en passer en trouvant d'autres parcours. Le monde où nous vivons est en train de sombrer parce qu'il est aux mains de gros bosseurs. Donnez le pouvoir aux glandeurs et aux glandeuses et l'humanité repartira dans une autre direction.

vendredi 17 septembre

Les sondages ne sont pas rassurants. Si jamais Bush est réélu, je pense sincèrement qu'on est foutus. Le monde qu'ils sont en train de mettre en place sera alors installé définitivement et ils pourrons passer à la vitesse supérieure (actuellement , c'est le galop d'essai). C'est la raison pour laquelle je prends pas mal de distance avec tout ça. Je me prépare au pire.

samedi 18 septembre

Bon, j'exagère un peu pour Bush. Cela ne changera pas la composition des petits déjeuners ou les soirées télé. J'ai toujours eu cette tendance au superlatif, le goût des idées radicales. Ma prof de Français me rendait mes dissertes (de véritables brûlots anti-tout) en me répétant inlassablement que "la vérité est dans la nuance". Je crois que cette pauvre femme, intelligente et austère, se plantait complètement. Et je le savais déjà à l'époque. L'expérience n'a fait que confirmer ce que je pressentais : nothing is true.

dimanche 19 septembre

Le sens commun n'est pas une sorte de contact, sain et direct, avec le réel. Celui qui a une activité intellectuelle n'est pas perdu dans un monde imaginaire, coupé des réalités singulières. La représentation que se fait le sens commun de l'intellectuel (le type dans la lune qui se prend les poteaux) est un système de défense et aussi d'agression. Le sens commun tient plus que tout à ses croyances partagées, qui se présentent à lui comme des vérités "naturelles". Ce n'est pas par un plaisir malsain de détruire une harmonie sociale que l'on pratique la déconstruction des croyances collectives. C'est simplement que la vie quotidienne est fade, désenchantée, lorsqu'elle est appréhendée sous l'angle des catégories socialement constituées (le" travail", la"vie sexuelle", les "loisirs", la "consommation", la "culture", etc.). Nous trouvons que les croyances collectives rendent la vie ennuyeuse. C'est juste ça, le problème.

Ces pensées du dimanche matin ont été inspirées par la lecture de l'article "Une conception nouvelle de la vérité" dans le dossier Foucault du Monde.

lundi 20 septembre

Un peu dense, ces derniers temps, le journal. On a l'impression que je me prends la tête du matin au soir avec des questions métaphysiques, mais ce n'est pas ça du tout. En fait, la plus grande part de mon temps est occupée par la rêverie contemplative. C'est mon activité préférée depuis que je suis gosse et quand je le fais, je m'y consacre à fond. A l'école, les profs m'en tiraient brutalement par un "Répétez ce que je viens de dire". Ils faisaient leur travail en tentant de me détourner de cette activité autistique et asociale. Depuis, je pratique la rêverie comme un plaisir un peu honteux. Je n'en ai jamais vraiment parlé avec quelqu'un : "Tu fais quoi, ce soir ?" "Rêverie contemplative avec concentration sur la perception sensorielle." "Ah, oui ? Tiens, il faudrait que je m'y mette un de ces jours."

mardi 21 septembre

Avec le temps, j'ai appris à mieux tenir compte de la petite sonnette d'alarme qui se déclenche lorsque la personne en face de vous n'est pas très bien intentionnée à votre égard. J'ai également fait des progrès dans l'art de lâcher des missiles tout en conservant calme, sourire et courtoisie.

mercredi 22 septembre

Aucune raison de se la raconter pour ce qui a été réussi ou de se reprocher ce qui a échoué : nous ne contrôlons qu'un infime partie de la situation.

jeudi 23 septembre

Les affaires sérieuses commencent vraiment. Le ciel est couvert, il y a menace d'orage. La fumée des combats s'élève derrière la montagne. Et ce qui se passe là-bas agit directement sur la situation ici. Ne pas s'inquiéter. On entrevoit des ouvertures, peut-être de belles oportunités. Pour l'heure, s'occuper des affaires courantes et observer l'apparente confusion des choses.

vendredi 24 septembre

Il y a un moment délicat lorsque l'on arrive à la maturité (comme on dit) et que les problèmes matériels sont résolus, qu'il n'y a plus vraiment à s'en préoccuper en dehors d'un coup de fil au banquier de temps en temps. Il faut trouver de nouveaux buts (sur un autre plan que salaires, maisons, voitures, vacances). Des trucs qui n'impressionneront pas beaucoup les voisins, qui ne susciterons pas d'animosité chez les collègues, mais qui vous mobiliseront autant que lorsqu'il était question de sauver sa peau dans jungle.

samedi 25 septembre

Je n'ai jamais lu un seul de ses romans mais je l'aimais bien, comme ça. Un jour, j'ai vu que nous avions la même configuration astrologique. Nous avions d'ailleurs quelques traits en commun, mais je ne vous dirai pas lesquels (non, il ne s'agit pas de la conduite en état d'ivresse).

dimanche 26 septembre

Tenir ce journal, c'est une forme d'exercice spirituel light. Un rituel léger ne demandant pas d'effort particulier, juste une forme d'attention flottante qui se manifeste aux alentours de sept heures du matin. Généralement, les choses se passent en douceur, presque par inadvertance. Ce qui me frappe lorsque je me retourne, c'est la non prise en compte de ce qui est passager et fluctuant (humeurs, sentiments, contrariétés, satisfactions). En ce sens, il ne s'agit pas vraiment d'un journal. Plutôt le récit d'une personne regardant ce qui se passe en elle et autour d'elle, sur Terre, au début du XXIème siècle.

lundi 27 septembre

Tiens, j'ai compris des trucs ce week end : I've been sleeping for ten years. Remarquez, ce n'est une révélation que pour moi. On m'en avaient déjà parlé plus ou moins gentiment. Mais pas en présentant les choses d'une manière qui aurait pu m'aider à y voir plus clair. Et puis, lorsqu'on vous agresse, vous vous dites plus volontier "Va te faire foutre" que "Tiens ! Une remarque pertinente". C'est humain.

mardi 28 septembre

Je n'arrive plus à donner mon argent, en achetant des CD, à des mecs qui me menacent de prison. J'écoute la radio. Ou rien.

mercredi 29 septembre

J'ai accès, en ce moment, à des merveilles (tirages originaux de pointures de la photographie arty, genre DiLorca). Et je réalise à cette occasion que les images m'intérressent de moins en moins. Je n'arrive même pas à croire qu'elles ont pu me fasciner autant à une époque, au point de vouloir passer le plus de temps possible avec elles. La fin de la fascination ne signifie pas que les images ne font plus aucun effet, bien au contraire. C'est lorsque que l'on a cessé d'y chercher quelque chose de crucial que l'on peut enfin se mettre à les savourer pour ce qu'elles sont : de plus ou moins belles surfaces, plus ou moins bien arrangées.

jeudi 30 septembre

Si j'écrivais un livre racontant ce qui m'arrive, une auto fiction ou une "merde de témoignage" (rassurez-vous, ce n'est pas mon genre), je l'appellerais Une infime conviction. C'est exactement ce qui ce passe : je commence vaguement à croire à quelque chose de très vague. A part ça, y'a quoi comme otages, ce soir à la télé ?

vendredi 1 octobre

Déjà besoin de vacances. Tout me gonfle. Fait quelques efforts pour établir une communication avec des étrangers qui ne sont ni hostiles ni antipathiques. Juste très différents.

samedi 2 octobre

Je vous ai parlé d'une biographie de Dylan, une de plus, en disant que je n'avais pas envie de la lire. Avec Chronicles, vol 1, c'est différent : Bobby raconte sa version de l'affaire. Et cela change tout. En attendant la traduction française, voici un extrait où il est question de la retraite néo-country forcée à Woodstock (avec les fans dans les arbres autour de la maison), de la pression formidable qui régnait alors sur l'idole, du besoin collectif d'un porte parole qui s'est soudain abattu sur lui. Tout ce truc lui a explosé en pleine gueule et l'a transformé en profondeur (comme le montrent les photos du Dylan grossi, presque dénué de charisme, tel qu'il apparut à l'île de Wight).

dimanche 3 octobre

Il est devenu humainement impossible de tenir plus de cinq minutes à l'intérieur de la librairie "Un regard moderne" (rue Gît-le-Coeur). Les piles de livres ont monté, leur équilibre est précaire. L'espace de circulation a rétréci et il faut déranger quelqu'un pour pouvoir bouger le petit doigt. C'est très oppressant. On a l'impression de rentrer dans la reconstitution en 3 D d'un cerveau dérangé. En plus, il n'y avait aucune nouveauté de Robert Crumb.

lundi 4 octobre

Toujours la suite de la promenade à Paris : vu Alberola chez Templon. Déception. Pourtant, j'aimais bien ce peintre, un de mes préférés parmi ceux qui ont percé durant les Golden Eighties à la françaises. Parenthèse : que reste-t-il de Combas, Di Rosa, ou pire, des graphiteurs de seconde zone qui pullulaient alors, attirés par le fric, la coke et les putes (comme dirait Zarayan). Donc, déception devant ces peintures habiles - mais sans plus -, et surtout sages, bien rangées, ne prenant aucun risque et recyclant consciencieusement quelques trouvailles de composition qui datent de vingt ans.

mardi 5 octobre

Tom Waits is back. Et pour le même prix, vous avez un papier du vieux Garnuche, qui nous fit découvrir le chanteur à la voix papier de verre en direct du Motel Tropicana, twenty years ago. Le temps a passé, l'action s'est déplacée de L. A. vers un bar situé près de Bodega Bay, où Hitchcock a filmé les Oiseaux (précise Garnier, jamais avare de ce genre de détail), mais les hommes sont restés globalement les mêmes. Et c'est cela qui nous rassure pour ce matin.

mercredi 6 octobre

Rude journée en perspective. Le genre de situation où il faut assurer, où tu n'as pas le choix. J'ai quelques mantras pour les grands moments dans ce genre : des refrains de chansons dont la playlist doit, pour des raisons évidentes, rester secrète (mais les lecteurs attentifs peuvent s'en faire un petite idée). Et si tout le monde faisait la même chose ? On ne le saurait pas puisque personne n'en parlerait.

jeudi 7 octobre

Le travail salarié en système capitaliste (leçon numéro un) :

Je n'ai aucune envie de sortir de la maison. J'ai déjà largement eu ma dose de contacts et interelations. Mais je vais tout de même le faire parce qu'il le faut, pour pouvoir revenir ensuite dans la maison, qui sera considérée comme mienne en échange d'une partie de ce que l'on m'aura donné pour avoir bien voulu faire l'effort d'en sortir alors que ça ne me plaisait pas du tout. Le capitalisme est basé sur la souffrance du salarié. Cette souffrance légitime sa "récompense", qui réside dans le fait de participer à la relance du système par l'intermédiaire de la consommation de marchandises.

vendredi 8 octobre

J'ai beaucoup aimé un chanteur nommé Kevin Coyne. J'en parle au passé, alors qu'il est vivant, mais pour moi, il appartient irrémédiablement au registre de la mémoire. J'ai égaré le seul disque que j'avais de lui, et j'avoue n'avoir jamais cherché à le réécouter ( l'horrible éventualité d'un téléchargement n'a même pas été évoquée). Je peux ainsi conserver intact le souvenir magique d'un concert (vu à la télé, dans l'émission Chorus). Je crois bien qu'il était seul à la guitare. En tout cas, c'est ainsi qu'il a interprété la chanson intitulée The world is full of fools. C'était si fort que j'ai acheté le disque le lendemain. Tout cela pour dire que Kevin Coyne est à mon sens injustement oublié par les jeunes générations . Je pense qu'ils devraient tendre l'oreille avec l'attention requise. Ce type mérite un statut culte, un peu à la Nick Drake (à mon avis légèrement surévalué).

samedi 9 octobre

L'écriture donne une tournure définitive et péremptoire à des idées qui se présentent sous une forme vague et indécise. L'effet d'évidence que donnent les mots peut être trompeur : beaucoup finissent par y croire. Certains préfèrent de loin la carte rassurante au territoire chaotique. Ils vivent dans un monde parrallèle qui est certes plus contrôlable, mais où aucune forme de vie ne peut se maintenir. Un conseil : si vous croisez un(e) habitant(e) de ce monde mort, tournez casaque et foncez droit devant.

dimanche 10 octobre

Avant, je ne connaissais que le traitement réservé aux oisifs. Maintenant, je découvre ce qui se passe lorsqu'on fait des trucs. Il y a un côté marrant, le fait d'être en action, d'exercer un effet sur le réel. On voit ce dont on est capable, les points forts, les limites. On se fait également des chouettes ennemis, qui vous regardent comme s'ils étaient équipés de l'option rayon désintégrateur. Ils ont pour fonction de vérifier l'impact de votre action.

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