lundi 4 septembre

Des tas de comportements sont tenus pour suspects, alors que nous sommes supposés vivre dans la partie permissive du monde libre. Par exemple, si vous évoquez des choses du passé aujourd'hui disparues (et non rééditées), vous êtes soupçonnable de nostalgie contre-productive. Il n'y a simplement aucun moyen de faire du fric avec la mémoire individuelle, alors autant éradiquer cette tendance au nom de l'évolution. Mais moi, je revois encore le grenier où je lisais des vieux exemplaires du journal Tintin et où je rêvais les jours de pluie sur des images jaunies qui sentaient bon. Je retrouve un peu cette ambiance dans ce grenier virtuel (sans l'odeur du papier, hélas). Et puis aussi, moins loin dans le temps, lorsque j'habitais à Paris, j'allais dans une boutique pleine d'images mal rangées, de vieilles BD comme Le Fantôme, d'affiches et de photos de films, des trucs comme ça.

mardi 5 septembre

On trouve tout sur Internet, à condition de ne pas arriver trop tard. Des dessins originaux de Mark Beyer (découvert dans Raw) entre 100 et 350 dollars, c'est tentant. Mais tout est déjà sold.

mercredi 6 septembre

Dans la pièce qui fait office de grenier, sur une étagère, il y a une carte postale avec ce tableau Hopper. Le format y semble plus allongé et on distingue des taches d'encre de chine en bas, sous la pompe. La carte tombe à chaque fois que je prends la boîte en bois qui est posée devant. Je remets à chaque fois la carte en équilibre. Puis je repose la boîte qui fera inéluctablement tomber la carte la prochaine fois que je la déplacerai.

jeudi 7 septembre

J'ai trois éditions de The Long Good-Bye (bizarrement traduit en français Sur un air de navaja). Je l'ai lu autant de fois, toujours avec le même plaisir émerveillé. J'ai commencé cette collection involontaire en 1979 avec l'exemplaire à la couverture hideuse publié dans la collection carré noir (au milieu sur la photo). Je découvrais au même moment Manchette, Chandler et les films de Hawks. Un choc. Puis je suis tombée quelques années plus tard, totalement par hasard, sur l'édition originale de 1954 (à gauche). Le bouquin traînait au fond d'une armoire, dans une maison au bord de la mer. Je n'ai eu qu'à me baisser pour prendre le trésor. Et là, on vient de m'offrir la réédition "intégrale" (à droite). Cette version non amputée des dialogues et des descriptions inutiles à l'action est un régal pour les amateurs de Raymond Chandler. C'est précisément dans les digressions et les temps morts que ce styliste raffiné donne le meilleur. I'm grateful.

vendredi 8 septembre

Back to work. Ce n'est peut-être pas si mal, finalement, ce rythme alternatif : seul / avec les autres, rêve individuel / réalité collective. Je dis ça pour me consoler, évidemment. Pendant ce temps, Modern Times est en tête des ventes aux Etats-Unis. L'album a été classé numéro un dès la première semaine de mise en vente, "ce qu'aucun artiste âgé de 65 ans, comme l'est Bob Dylan, n'avait réussi à ce jour", précise le journaliste du Monde dépassé. Pour nous, c'est juste logique (et c'est le fait que quelque chose de logique se produise de temps en temps qui paraît étrange).

samedi 9 septembre

Je croyais que la campagne électorale allait nous distraire mais c'est raté. On s'en fout. La rentrée littéraire est encore plus insipide et prévisible que celle des politiciens. Pas de frissons à l'horizon. Il va falloir puiser dans nos propres ressources, ce qui n'est jamais bon pour la relance.

dimanche 10 septembre

"Au moment où il arriva avec l'aspirateur dans l'entrée de l'immeuble, Richard ne douta plus que Samuel Beckett, dans un moment vulnérable de sa vie, avait lui aussi été obligé de rapporter un aspirateur au service après-vente." Martin Amis, L'informarion

 

lundi 11 septembre

Je ne suis pas à la recherche de la nouveauté à tout prix - surtout à l'approche de l'automne. J'écoute une réédition remasterisée et enrichie d'Elvis in Memphis, du CinémaScope en 3D pour les oreilles. Ecouter Elvis, c'est un peu comme regarder une peinture de Van Gogh ou lire un poème de Rimbaud : il faut d'abord faire abstraction du mythe pour envisager les choses sous l'angle purement esthétique. Ce serait dommage de se priver d'œuvres géniales sous prétextes que leur auteur s'est fait prendre dans la machine à fabriquer les légendes (la manière qu'a trouvé la société pour absorber les irruptions de beauté incontrôlées).

mardi 12 septembre

Ceci est une publicité pour l'un des plus beaux blogs du monde. Je l'ai déjà signalé, mais j'insiste. En cette période de rentrée stressante, visionner les trésors accumulés dans les archives me fait beaucoup de bien. Les images ne sont pas seulement belles, elles sont choisies et présentées avec sensibilité et intelligence. Beaucoup de photos ont pour thème l'activité créatrice prise sur le vif. J'ai toujours aimé les images d'artistes en action : musiciens en studio, peintres dans l'atelier, photos de tournages, écrivains méditatifs au café ou ailleurs - en fait, l'artiste est en action n'importe quand et n'importe où, c'est ça le mystère. Un autre thème est la collaboration, à deux ou en groupe. Il y a également les rencontres entre légendes vivantes. C'est du people élégant, cultivé, légèrement élitiste (c'est un compliment). On trouve aussi sur ce blog de rêve les icônes de la culture américaine, des playmates sixties, des poètes et même des inconnus qui restent à découvrir car s'ils apparaissent ici, c'est qu'il doit y avoir une bonne raison.

mercredi 13 septembre

Quatre ou cinq disques, pas plus, ou le camembert devient tout bleu, il n'y a plus d'espace libre et l'ordinateur explose. C'est amusant de voir qui tient le coup dans ces conditions extrêmes. Forever Changes vient de gicler (c'est sans espoir, je n'essaierai plus). Le vieux Mississippi John Hurt s'accroche. Ron Sexsmith également (on dit toujours qu'il est d'une qualité égale, mais le dernier est particulièrement bon). Jesus & Mary Chain, qui viennent de faire une incursion, vont très vite se volatiliser. Je ne me souvenais plus du bruit d'aspirateur (de la fuzz ?). Après le travail, il faut avouer que c'est assez pénible. Enfin, il y en a un qui va rester pour longtemps, c'est Alex Chilton. Je connaissais Big Star, je découvre l'homme en solo. "Memphis... hits... comédie du showbiz... décide de tout laisser tomber... Max's Kansas... CBGB's... produit le premier LP des CRAMPS... un emploi de bûcheron..." Une biographie parfaite et des chansons qui ne vous lâchent plus.

jeudi 14 septembre

Nous sommes le produit des connexions synaptiques qui ont déterminé à la fois nos choix esthétiques, nos dégoûts et nos indifférences (pensons par exemple à tous les noms qui n'ont jamais été cités dans le Journal). Une police efficace pourrait, sur cette base, tracer un portrait assez précis d'un individu.

vendredi 15 septembre

L'ennui gagne du terrain. C'est la saison, il n'y a rien à faire contre ça. Ces périodes sont probablement nécessaires (sinon, pourquoi reviendraient-elles de manière cyclique ?). Plus tard on réalisera peut-être qu'à ce moment précis, tandis que rien ne semblait se passer, des choses décisives se préparaient à notre insu. C'est possible, mais très incertain.

samedi 16 septembre

Lorsque je parle d'ennui, je crois que je veux dire exactement le contraire de ce que l'on entend habituellement. Il ne s'agit pas d'un manque d'occupation ou d'un sentiment de vide mais au contraire d'un trop plein, d'une immersion prolongée dans la vie sociale qui ne me réussit pas. Je vais mal lorsque je n'ai plus ma dose de solitude et de désœuvrement. Rien de ce qui se joue dans les rapports sociaux ne mobilise durablement mon intérêt, et c'est encore pire depuis que j'ai renoncé à faire semblant. En un mot, tout m'emmerde. Il ne s'agit pas d'une indifférence hautaine, mais d'un handicap. Et je dois me débrouiller avec ce paradigme.

dimanche 17 septembre

"- Bogart, Marlowe ?... Merci, mais tu me fais trop d'honneur. J'ai rien ramassé du tout. Un peu espion, voyeur, ça d'accord. Je suis curieux, ça oui. Mais c'est tout. Et puis tu pourrais crier moins fort avec ton accent allemand, en fait elle avait très peu d'accent, ça réveille des souvenirs. N'oublie pas que j'ai exactement le même âge que toi."

Jean-Jacques Schuhl, Ingrid Caven

 

lundi 18 septembre

Tiens, revoilà les fanatiques. Cette fois, ils se battent entre eux. Everything is perfect.

mardi 19 septembre

Le retour du dessin dans l'art contemporain, même avec les poses académiques obligatoires (vidéo, installation, papier peint...), c'est la bonne nouvelle. La mauvaise, c'est la manière dont certains journalistes défendent avec ardeur le candidat choisi par leur patron. La plus grande manipulation de l'opinion depuis Tchernobyl. Quelques titres de Libération, presqu'au hasard : "Ségolène Royal, premier choix", "Ségolène Royal poursuit sa course en tête", "Ségolène Royal incarne une forme de virginité partisane". Tous ces papiers sont signés d'un certain David Revaut d'Allonnes. Retenez ce nom. Et soutenez le candidat du GFIV !

mercredi 20 septembre

Je ne sais pas si c'est tendance, si les Inrocks en parlent, et je m'en fous : pour moi le disque de la rentrée c'est Jerry Lee. Ma voisine, qui aime le Journal, trouve que je parle trop souvent de rock n' roll, alors je vais faire court. Pourquoi écouter des petits morveux qui n'inventent rien, imitent approximativement, et seront totalement oubliés dans deux ans, quand on a sous la main Jerry Lee himself ? Shake it !

jeudi 21 septembre

Si Panégyrique sortait aujourd'hui, le livre aurait droit à une critique élogieuse dans le Point. C'est ainsi, c'est notre époque, on s'est habitué. Il n'empêche, dans une rentrée littéraire particulièrement fadasse (comment pourrait-il en être autrement ?), ce premier roman se détache du peloton - et sans forcer. Le Monde chipote ("Un troisième personnage s'appelle François Hollande. On s'étonne un peu du portrait qu'en fait Boulin..."). C'est très bon signe. Par ailleurs, l'écrivain s'attarde, nous dit le Point, sur ceux qui habitent loin de chez Hollande ("caissières et vigiles, nettoyeurs de gares et nourrices antillaises, bagagistes noirs et beurs de McDonald's"), et cela ne peut qu'attirer la curiosité du GFIV. Je vous en reparle dès que je l'aurai lu.

vendredi 22 septembre

Lorsqu'on écrit au jour le jour, on peut anticiper à quel point les petites préoccupations du moment paraîtrons insignifiantes d'ici quelque temps. Du coup, elles s'effacent spontanément.

samedi 23 septembre

Le projet littéraire qui consiste à nous faire épouser de l'intérieur le destin d'un nazi peut laisser sceptique. D'après certains critiques, le projet semble réussi, et la machine narrative s'avèrer redoutablement efficace. Sur cette base, début septembre, j'avais placé ce roman dans la catégorie "à ne lire sous aucun prétexte". Et maintenant que le livre devient un phénomène de librairie à la Harry Potter, je trouve que ça sent le nazi-reality show de masse (c'est-à-dire très mauvais).

dimanche 24 septembre

"Prenez le cas de James Joyce ; les gens ont dit qu'il avait "gâché" son "talent" avec ce style du flux de conscience, alors qu'en fait il est purement et simplement pour lui donner naisance."Jack Kerouac, Vraie blonde, et autres

 

lundi 25 septembre

J'espère que ce bouquin va rester un petit moment à la Fnac parce qu'il est hors de question d'acheter cette relique de fétichiste. En même temps, les photos sont souvent inédites et dans un tirage somptueux. Le genre de livre que j'adore feuilleter à l'arrache. C'est un vieux truc que j'ai appris quand j'étais trop fauchée pour les beaux livres d'images. Le tableau, le dessin ou la photographie, directement imprimé/flashé au fond du cerveau ; et quand vous revoyez l'image des années plus tard, vous constatez que vous l'avez fixée dans les moindres détails.

mardi 26 septembre

Warning : suite au démarrage d'un nouveau projet de GFIV Comix, le Journal va s'interrompre pour une durée indéterminée. See you later, dear reader. Vous pouvez envoyer le générique.

 

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